Quand le ‘respect’ efface le plaisir : héritages et contradictions caribéennes

Dans beaucoup de familles caribéennes, la sexualité n’est pas un sujet de conversation. Pas parce qu’elle n’existe pas, mais parce qu’elle dérange.

Elle gêne, elle trouble, elle fait peur. Parler de plaisir, c’est souvent vu comme un manque de retenue, une impudeur, voire une menace à cette image de "respectabilité" que l’on tente de préserver depuis des générations. Mais ce respect-là, qu’on défend bec et ongles, qu’est-ce qu’il a coûté à nos corps ? Et si, à force de vouloir protéger notre dignité, on avait oublié comment s’autoriser à jouir de notre humanité ?

Quand l’histoire bâillonne le désir

L’histoire coloniale est une violence avant d’être une mémoire. Et cette violence s’est aussi jouée dans l’intime. Pendant des siècles, les corps noirs ont été réduits à des instruments : pour produire, pour servir, pour satisfaire. Les femmes esclavisées, en particulier, étaient utilisées comme reproductrices, privées du droit de disposer de leur sexualité, violées systématiquement par les maîtres, parfois dès l’enfance. Le plaisir leur était non seulement interdit, mais rendu impossible : leur corps ne leur appartenait pas.

Les hommes noirs, eux, ont été animalisés, décrits comme hypersexuels, brutaux, incontrôlables. Cette caricature a servi à justifier leur surveillance, leur châtiment, leur castration symbolique ou réelle. Le désir, chez eux, devenait une menace pour l’ordre blanc. Et cette peur fantasmée a créé un modèle d’homme noir muselé, nié dans sa tendresse, figé dans une virilité violente.

Même après l’abolition, les colonies puis les sociétés post-coloniales ont continué à réprimer la sexualité noire, en y plaquant des normes européennes, chrétiennes, patriarcales, souvent violentes et puritaines. L’Église a amplifié ce contrôle, en diabolisant le corps, en faisant du sexe un péché, et en enterrant le plaisir sous des couches de honte et de devoir conjugal. Il faut comprendre une chose : la sexualité des Noir.es a été historiquement déformée, hypersexualisée, criminalisée. Le corps noir a longtemps été soit fétichisé, soit diabolisé. Résultat : pour survivre, nos aïeux ont appris à se taire, à cacher, à effacer. La pudeur n’est pas qu’une question de morale : c’était une stratégie de survie. Être "respectable", c’était une manière d’exister face à un monde qui nous animalisait.

Mais cette stratégie a laissé des traces. Aujourd’hui encore, parler de plaisir dans nos familles, c’est souvent perçu comme impudique, sale ou inutile. On a intégré que le désir était suspect. Que la sexualité devait être silencieuse. Et que le plaisir était un luxe… voire une faiblesse.

Ce que ça fait à nos corps et à nos vies

Grandir dans le silence, c’est apprendre à ne pas écouter son corps. C’est intérioriser la honte. C’est croire que le plaisir est secondaire, voire dangereux. Alors on se construit avec des demi-savoirs, des tabous, des non-dits. Et parfois, on passe à côté de sa vie intime sans jamais oser la revendiquer.

Ce conditionnement touche tout le monde : femmes, hommes, personnes queer, jeunes, moins jeunes. Il modèle notre rapport au corps, au désir, à l’amour, à la parole. Il explique aussi pourquoi on peut être à l’aise dans la fête, dans la danse, dans la sensualité… mais très mal à l’aise quand il s’agit de parler franchement de sexe.

Rompre le silence : un acte de guérison collective

Parler de plaisir, c’est politique. C’est déconstruire l’idée que notre dignité est incompatible avec notre désir. C’est refuser de porter encore la honte d’un système qui a tenté de nous déposséder de nos corps. C’est rendre à nos familles, à nos communautés, et à nous-mêmes, le droit de vivre une sexualité libre, joyeuse, consciente.

Il ne s’agit pas de tout dire à tout le monde. Mais de créer des espaces de confiance, de transmission, de dialogue. Où on apprend, où on rit, où on pleure parfois. Où le plaisir devient possible, et surtout, légitime.

Ce n’est pas la pudeur qui nous abîme. C’est le silence imposé. Le non-dit comme héritage. Mais il est possible d’en sortir. De parler. De se réapproprier. De guérir. Et si le plaisir devenait enfin un langage qu’on n’a plus honte de parler ?

C’est pour ça que j’ai créé le Club des 5 Éros.

Pour que les personnes noires et afrodescendantes, en particulier, aient enfin un espace où elles peuvent poser leur plaisir, leurs doutes, leur curiosité, sans se justifier. Un espace où on parle vrai. Où on explore, on apprend, on rit, on déconstruit. Où la sexualité n’est ni une performance, ni un tabou : c’est une expérience à vivre pleinement, dans toute sa richesse et sa complexité.

Rejoindre le Club, ce n’est pas juste s’abonner à un contenu : c’est rejoindre une communauté qui fait le choix de ne plus avoir honte. C’est prendre soin de son intimité, de son éducation érotique, de son héritage, et de ses désirs. C’est s’offrir l’autorisation d’être multiple, sensuel.le, profond.e et libre.

Parce que le plaisir, la conscience, l’amour et la liberté… ce sont aussi des droits hérités à reconquérir.

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